dimanche 24 avril 2011

Commentaire d'arrêt du 31 mai 1991 (rendu par la Cour de Cassation)

Dans cet arrêt rendu par la cour de cassation rassemblée en assemblée plénière en date du 31 mai 1991, le procureur général, demandeur, se pourvoit de cassation puisque Madame X n'a pas respecté la loi. En effet, celle-ci étant d'une stérilité irréversible a demandé à son mari Monsieur Y de donner son sperme à une autre femme pour effectuer une insémination artificielle. Mais est-ce que les conventions relatives à la maternité de substitution sont licites et conformes à l'ordre public ? La Cour de Cassation en déboutant Madame X ne fait qu'appliquer la règle prévue par le code civil. Encore faut-il préciser quelles sont, pour le couple, les conséquences de cette décision. C'est pourquoi nous examinerons dans une première partie la manière dont la loi appliquée ici par la Cour de Cassation règle la question du sens et de la valeur de la décision avant de rechercher, en une seconde partie quelle est la portée d'une telle solution en envisageant ses conséquences sur l'issue du procès.

I/ Sens et valeur de la décision prise par la Cour de Cassation :

La Cour de Cassation casse l'arrêt d'appel au visa des articles 6 et 1128 du code civil. Elle ne fait qu'appliquer la solution énoncée par ces articles, solution tout à fait justifiée.

A/ Énoncé de la solution :

Madame X considérant que en l'état actuel des pratiques scientifiques et des mœurs met en avant que la maternité substituée doit être considérée comme licite et que l'adoption plénière de l'enfant est conforme à l'intérêt de l'enfant. Mais comment pouvons-nous le savoir ? En effet, l'enfant simplement conçu ne peut s'exprimer et l'enfant né viable n'est pas encore en mesure de le faire. Qui plus est, l'article 345-1 nous dit que l'adoption plénière de l'enfant est permise lorsque l'enfant n'a pas de filiation légalement établie qu'à l'égard de ce conjoint. Or, c'est le cas. En faisant une convention d'un commun accord dont l'enfant est l'objet, le couple va à l'encontre du principe de l'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes.

Mais quels sont les fondements théoriques en droit de la solution apportée précédemment ?

B/ Fondements de la solution :

La solution est bien fondée juridiquement puisqu'elle n'est que l'application des articles 6 et 1128 du code civil, nonobstant l'article 353 du même code. Ces articles sont eux-mêmes bien fondés, car reposent sur une considération sociétale. On ne peut mettre un enfant au centre d'une convention, ceci dérogeant à l'ordre public et aux bonnes mœurs (article 6). De plus, il porterait atteinte à l'intérêt de l'enfant dans le sens où celui-ci ne connaitrait pas sa mère. L'adoption agissant comme un droit extra-patrimonial il ne peut faire l'objet d'un accord entre deux personnes. « Il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet des conventions » nous dit l'article 1128. L'article 16-1 permet de confirmer cela : « le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial ». Au problème de l'insémination artificielle dans ce cas-ci, il est répondu à l'article par l'article 1244-3 que « l'insémination artificielle par sperme frais provenant d'un don et le mélange de sperme sont interdits ». Enfin, l'article 353 constitue le cadre des différents articles énoncés. Selon cet article, « l'adoption est prononcée à la requête de l'adoptant par le tribunal de grande instance qui vérifie dans un délai de six mois à compter de la saisine du tribunal si les conditions de la loi sont remplies et si l'adoption est conforme à l'intérêt de l'enfant ».

La décision prononcée par la Cour de Cassation donne une solution au problème de droit, mais quelles sont les conséquences d'une telle décision.

II/ Conséquences de la décision :

Le problème de maternité substituée est complexe. Il faut donc préciser quel est son enjeu, qui n'est autre que l'issue du procès. C'est pourquoi la Cour de Cassation exerce avec vigilance son contrôle sur ce point.

A/ L'enjeu de la maternité substituée :

L'application faite par les différents articles permet de ne pas donner raison à la partie défenderesse, Madame X. Mais, le problème de droit s'applique en droit comme en fait. Les arguments de Madame X sont aussi recevables que ceux de Monsieur Le Procureur Général. Les deux parties vont fournir tout au long de la procédure au juge tous les éléments de preuve en leur possession. L'enjeu est dans l'issue du procès. Mais sachant que la Cour de Cassation statue uniquement en droit, celle-ci donnera raison à Monsieur Le Procureur Général. La décision même si basée sur des bases juridiques solides ne prend pas en considération le fait d'espèce. Jugé comme une détournement de l'institution de l'adoption, cette affaire est présentée sous un mauvais jour. L'enfant ne peut pas être au centre de convention, mais avec les progrès de la science et l'évolution des pensées, l'adoption plénière d'un enfant conçu via une mère substitutive ou « mère porteuse » peut-être considérée si cela ne porte pas atteinte au futur enfant.

Nous pouvons nous demander alors quel est le contrôle de la Cour de Cassation sur ce point.

B/ Le contrôle de la Cour de Cassation :

Confronter les différents éléments présentés par les parties et décider si l'argumentation a été rapportée est une question de fait qui relève de l'appréciation souveraine des juges de fond. En revanche, la question du déroulement de l'argumentation est une question de droit. L'issue du procès dépend de règles juridiques. La Cour de Cassation exerce là son contrôle. La Cour d'appel est sanctionnée parce qu'elle n'a pas respectée les règles prévues par la loi et n'a jugée que en fait.


Suit l'arrêt du 31 mai 1991 antérieurement commenté dans son intégralité;

Cour de cassation
Assemblée plénière


Audience publique du 31 mai 1991


N° de pourvoi: 90-20105
 

Publié au bulletin
 

Premier président : M. Drai, président
Rapporteur : Mme Giannotti, M. Chartier, conseiller apporteur
Premier avocat général : M. Dontenwille, avocat général



REPUBLIQUE FRANÇAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Sur le pourvoi dans l’intérêt de la loi formé par M. le Procureur général près la Cour de Cassation :
 

Vu les articles 6 et 1128 du Code civil, ensemble l’article 353 du même Code ;

Attendu que, la convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de
l’état des personnes ;


Attendu selon l’arrêt infirmatif attaqué que Mme X..., épouse de M. Y..., étant atteinte d’une stérilité irréversible, son mari a donné son sperme à une autre femme qui, inséminée artificiellement, a porté et mis au monde l’enfant ainsi conçu ; qu’à sa naissance, cet enfant a été déclaré comme étant né de Y..., sans indication de filiation maternelle ;


Attendu que, pour prononcer l’adoption plénière de l’enfant par Mme Y..., l’arrêt retient qu’en l’état actuel des pratiques scientifiques et des moeurs, la méthode de la maternité substituée doit être considérée comme licite et non contraire à l’ordre public, et que cette adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant, qui a été accueilli et élevé au foyer de M. et Mme Y... pratiquement depuis sa naissance ;


Qu’en statuant ainsi, alors que cette adoption n’était que l’ultime phase d’un processus d’ensemble destiné à permettre à un couple l’accueil à son foyer d’un enfant, conçu en exécution d’un contrat tendant à l’abandon à sa naissance par sa mère, et que, portant atteinte aux principes de l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes, ce processus constituait un détournement de l’institution de l’adoption, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;


PAR CES MOTIFS :


CASSE ET ANNULE, mais seulement dans l’intérêt de la loi et sans renvoi, l’arrêt rendu le 15 juin 1990 par la cour d’appel de Paris.


REQUETE DE M. LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR DE CASSATION.
 

Le Procureur général près la Cour de Cassation a l’honneur d’exposer :

- Que, par jugement du 28 juin 1989, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté la requête présentée par Mme X..., épouse Y..., tendant à l’adoption plénière de l’enfant Z... déclarée comme étant née de M. Y..., mari de la requérante, sans indication de filiation maternelle ;


- Que, pour ne pas faire droit à cette requête, les premiers juges ont retenu que les époux Y..., pour remédier à la stérilité de leur couple, avaient eu recours à l’association Alma Mater, aujourd’hui dissoute, l’enfant étant né d’une mère de substitution qui l’a abandonné  à la naissance, pratique déclarée illicite ;


- Que sur appel de Mme Y..., la première chambre civile, section C, de la cour d’appel de Paris, a, par arrêt du 15 juin 1990, infirmé la décision entreprise et prononcé l’adoption plénière sollicitée par la requérante ;


- Qu’au soutien de leur décision devenue définitive, les juges du second degré ont tiré de nos principes généraux relatifs à la filiation, des règles d’ordre public concernant les contrats et de certaines conventions ou déclarations internationales, des conclusions contraires à celles auxquelles était parvenue votre première chambre civile de la Cour de Cassation qui, dans un cas de figure pratiquement identique, a, par arrêt du 13 décembre 1989 (association Alma Mater contre procureur général Aix-en-Provence) reconnu le caractère illicite de la maternité pour autrui et les associations qui s’efforcent de la promouvoir ;


- Qu’il importe en cette matière particulièrement sensible, qui touche à un délicat problème de société et d’éthique, que soit mis fin à des divergences jurisprudentielles majeures et que la sécurité juridique soit assurée.


PAR CES MOTIFS :


Vu l’article 17 de la loi du 3 juillet 1967 relative à la Cour de Cassation ;


Requiert qu’il plaise à la Cour de Cassation ;


CASSE ET ANNULE, sans renvoi et dans le seul intérêt de la loi l’arrêt rendu le 15 juin 1990 par la cour d’appel de Paris ayant fait droit à la requête en adoption plénière présentée par Mme X..., épouse Y...


Publication : Bulletin 1991 A.P. N° 4 p. 5
Décision attaquée : Cour d’appel de Paris, du 15 juin 1990


Titrages et résumés : CONTRATS ET OBLIGATIONS - Nullité - Atteinte à l’ordre public - Maternité pour autrui - Contrat tendant à l’abandon d’un enfant - Contrat à titre gratuit - Absence d’influence La convention, par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance, contrevient aux principes d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes. Dès lors, encourt la cassation l’arrêt qui, pour prononcer l’adoption plénière d’un enfant, retient d’abord qu’en l’état actuel des pratiques scientifiques et des moeurs, la méthode de la maternité substituée doit être considérée comme licite et non contraire à l’ordre public, ensuite que cette adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant qui a été accueilli et élevé au foyer de l’adoptant pratiquement depuis sa naissance, alors que cette adoption n’était que l’ultime phase d’un processus d’ensemble qui, destiné à permettre à un couple l’accueil à son foyer d’un enfant conçu en exécution d’un contrat tendant à son abandon à la naissance par sa mère, constituait un détournement de l’institution de l’adoption.


CONTRATS ET OBLIGATIONS - Objet - Chose dans le commerce - Corps humain (non) - FILIATION ADOPTIVE - Adoption plénière - Maternité pour autrui - Adoption de l’enfant du père par l’épouse - Détournement de l’institution FRAUDE - Fraude à la loi - Filiation adoptive - Adoption plénière - Maternité pour autrui - Adoption de l’enfant du père par l’épouse - Détournement de l’institution CONTRATS ET OBLIGATIONS - Nullité - Atteinte à l’ordre public - Maternité pour autrui - Atteinte au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes


Précédents jurisprudentiels: A RAPPROCHER : Chambre civile 1, 1989-12-13, Bulletin 1989, I, n° 387 (1), p. 260 (rejet).


Textes appliqués : Code civil 6, 1128, 353

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